Lundi 20 janvier
Lors d’une soirée crêpes sur un voilier luxueux en très bonne compagnie, je rencontre un couple de français qui s’apprête à partir pour Gran Canaria. L’occasion est trop belle, je ne peux m’empêcher de leur demander de m’embarquer avec eux. Sur cette île bien plus riche en végétation, j’avais prévu de rencontrer Jose Cruz, un spécialiste des PAM endémiques des Canaries qui a l’air passionnant. C’est ainsi que 2 jours plus tard, je me retrouve à bord sur le bateau d’Armelle et Etienne.
À peine partis, je comprends bien vite que la navigation n’aura rien à voir avec mon expérience avec les Néo-Zélandais. En comparaison, ma première navigation était une croisière bien tranquille. Nous naviguons au près : le voilier est tellement incliné que le pont à tribord semble toucher la surface de la mer. Les vagues nous secouent et nous éclaboussent. Mon pantalon est trempé : je reste mouillée pendant plusieurs heures avant de surmonter l’épreuve de rentrer dans le carré pour me changer. L’expérience sera fatale : le mal de mer me prend. Mon repas finit par dessus bord. Quelle libération : la nausée disparaît en même temps. Équipée d’un équipement de marin prêté par Armelle, assise en équilibre dans le cockpit à bâbord avec les jambes en face pour me maintenir stable, le vent, les vagues qui secouent et nous éclaboussent. Je me sens une vraie navigatrice.
J’expérimente mes premiers quarts de nuit toute seule avec fierté. Généreusement, Armelle me confie les meilleurs quarts : de 20h à 22h et de 8h à 10h, mais aussi le pire, celui de 2h à 4h.
20h-22h. La nuit noire sans lune laisse briller les étoiles. Les traînées blanches dans le ciel et les paillettes scintillantes dans la mer. Mon occupation : tester toutes les positions dans le cockpit pour admirer les phytoplanctons luminescents et la voie lactée sous différents points de vue. 21H45, il est l’heure de réveiller Étienne, j’ai même pas eu le temps de m’ennuyer. Alors que j’ai trouvé une position allongée sur la couchette dans le carré qui me permet de rester à peu près stable, tout de même maintenue par une toile de voile sur le côté, impossible de dormir. Mes pieds sont gelés. L’erreur de débutant : les extrémités. Je regrette les chaussettes mouillées que je n’ai pas changées.
2h-4h. S’équiper dans le carré est sportif. Sortir deux paires de chaussettes sèches d’un sac rangé dans la cabine à l’avant du bateau est un vrai défi. Je le réussis sans avoir la nausée avec fierté. Enfiler un jean, un surpantalon imperméable, une polaire, la veste de quart, un gilet de sauvetage et des chaussures n’a jamais été aussi compliqué. Même aller aux toilettes avec les balancements du bateau est une épreuve. Constamment obligé de se tenir, tout déplacement doit être calculé et maîtrisé. Je sors parée pour mon deuxième quart. Le lever de lune fait disparaître la voie lactée et les phytoplanctons. Presque pleine, elle illumine la mer comme un soleil. Un carré de chocolat tous les quarts d’heure pour me maintenir éveillée et me motiver. Le sommeil me guette mais ça marche bien. Des rafales qui se renforcent puis le vent se calme. À part un léger changement de cap, toujours rien à signaler. Pas de bateaux à l’horizon.
8h-10h. Le réveil est dur, mais le spectacle du soleil levant fait disparaître la fatigue. Il fait déjà jour, le quart passe facilement. La journée défile agréablement en compagnie d’Armelle et Etienne. À peine quelques années de plus que moi, jeunes diplomés d’école d’ingénieurs, je peux facilement m’y identifier. Ravie de naviguer avec une femme capitaine, qui a transmis sa passion à son mari, ce qui est rare dans le monde très masculin et assez macho de la voile…
Nous atteignons Gran Canaria après 30 heures de navigation sportive. Je rentre à peine avec Étienne et mon sac à dos sur la minuscule annexe qui m’amène jusqu’à la terre. Rien que pour ce moment où je débarque sur cette nouvelle île depuis un canot pneumatique d’1m50, les 30 heures de navigation sportives valent le coup. Je quitte ce couple d’aventuriers des mers, fière de cette expérience dans des conditions difficiles. Le soleil s’est couché, je ne sais pas où je vais dormir ce soir. Une nouvelle étape du voyage commence.