Une leçon de vie à Gran Canaria

Dimanche 19 janvier

Le séjour à Gran Canaria a été court. Seulement 5 jours pour enquêter sur une île complètement nouvelle pour moi, et qui n’a rien à voir avec Lanzarote. Avec davantage de de reliefs et d’humidité, la végétation y est plus riche. Si le tourisme a incité la population canarienne à s’installer sur les côtes, délaissant les zones de moyenne montagne et leur autonomie par la même occasion, le savoir traditionnel sur la médecine par les plantes subsiste notamment chez les personnes âgées dans les villages perchées dans les hauteurs des volcans. Le Jardin Botanique de Gran Canarias offre un panorama superbe de l’ensemble des plantes endémiques, c’est-à-dire, qui ne se trouvent pas dans d’autres parties du monde. Un biologiste m’apprend que les plantes des Canaries ont toutes des propriétés médicinales. Une spécificité de la région ? Simplement la pauvreté et l’absence d’alternative qui ont encouragé la population à découvrir tous ces remèdes naturels locaux. Je pense à toutes les plantes dont nous ignorons les vertus en Europe… Des connaissances qui ne sont pas produites et pourtant si utiles : un exemple emblématique pour moi de « science non faite ». 

Si je n’ai pas pu réaliser tous les entretiens espérés, la rencontre tant attendue avec Jorge Cruz Suárez a dépassé mes attentes. Ce médecin naturaliste, auteur de plusieurs ouvrages, possède un savoir immense sur les plantes médicinales des Canaries. Avec sa barbe blanche et ses yeux souriants, il inspire la sérénité et la bienveillance. 

La matinée passée dans son jardin reste associée à une sensation indescriptible dans ma mémoire : du bonheur pur peut-être. Pour entrer, je passe à travers le torii, grande arche japonaise qui sépare le monde profane du monde spirituel. Les plantes médicinales poussent mélangées aux arbres fruitiers et autres plantes aromatiques ou alimentaires, dans une association savamment organisée. Les papillons, les poules, les oiseaux. L’atmosphère qui se dégage de ce lieu, au beau milieu des falaises, a quelque chose de sacré. Son jardin illustre à merveille la conception holistique du monde qu’il cherche à m’enseigner. Un refuge alimente les insectes. Les insectes assure la reproduction des plantes. Les poules fertilisent la terre. La terre alimente les plantes. Les plantes purifient l’eau. L’eau des fontaines s’écoule grâce à l’énergie du soleil. Le soleil nourrit les plantes. La loi universelle de l’interdépendance entre tous les êtres vivants. Nous dépendons tous des uns les autres pour le développement de notre vivant, particulièrement les être humains. La terre, l’eau, l’air et le feu. Ces quatre éléments représentés par des boules de cristal colorées flottantes dans les airs.

La terre, l’eau, l’air et le feu. Se nourrir, boire, respirer et produire de l’énergie. Le corps, le sang, le souffle et l’énergie.

« Nous, les êtres humains, nous nous obstinons à épuiser les ressources de cette planète tout en exploitant d’autres êtres vivants, et même nos semblables, dans cet aveuglement irrationnel, cette fuite en avant, au profit d’une minorité d’individus ou de sociétés qui, par contre, ne trouveront jamais la satisfaction, le bonheur qu’ils recherchent, car dès le début ils avaient raté la cible. »

Jorge Cruz Suárez
La spirale de plantes aromatiques : chaque espèce est positionnée selon une altitude et une orientation réfléchie, pour bénéficier de conditions d’exposition, d’humidité et de quantité de substrat optimales.

Jorge Cruz Suárez prélève soigneusement un mélange de plantes pour me préparer une tisane. La meilleure de ma vie sans aucun doute. Nous sommes prêts pour l’interview. Ma première question : « Qu’est-ce que la santé ? ». Il sourit :  « Bonne question ». Je sais déjà que l’entretien sera réussi. Plus j’en apprends, plus la médecine naturelle me semble une évidence et la médecine officielle aberrante. Pour ce médecin, le système médical conventionnel est orienté vers la maladie et non pas vers la santé. C’est à l’origine de tout un ensemble de pertes, et de plus un désastre économique. La médecine naturelle, elle, est basée sur le principe simple : aider le malade à conserver ou retrouver la santé. Le corps est capable de se guérir lui-même. L’objectif est alors d’aider chacun à connaître le fonctionnement de son corps et de ses propres capacités. Que ce soit par le biais de l’hygiène de vie, de l’alimentation et si besoin des plantes ou autres produits naturels, dans tous les cas : c’est au malade d’être actif dans sa guérison, dans la réappropriation de sa santé.

« Un médecin naturaliste est une personne qui cherche à prévenir ou traiter les maladies, au travers des aliments, des plantes médicinales, de l’exercice physique, mais aussi par le contrôle du stress, la vie dans la nature. »

Je rentre à Las Palmas encore sous le charme de ce jardin d’Eden. Cet homme plein de sagesse me marque profondément. Je ne regrette plus les 30 heures de navigation si difficiles dans la mer agitée. La traversée valait le coup rien que pour lui. Dans ma tête, ces paroles résonnent encore : « Souviens-toi : tout est un. »

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