Nommer les plantes pour les faire exister

Rencontre avec une ethnobotaniste

Je suis partie pour tourner la partie France de PAMacée depuis le mois de juin. Pendant cette période j’ai expérimenté, appris (beaucoup) et vécu des choses incroyables et variées. J’ai planté, retourné la terre, cueilli, désherbé, jusqu’à ce que mes ongles soient tous cassés et que la terre reste incrustée dans les sillons de mes mains. Depuis mi juillet, je suis retournée en ville. Le changement fut brusque et désenchanté. Mais j’y ai rencontré des personnes incroyables et toutes passionnées par leur travail à Clermont-Ferrand, Lyon, et maintenant Montpellier.

Les articles que j’écris ne suivent pas la chronologie de mon périple. Dans cet article, je relate une rencontre toute récente, avec Josiana Ubaud, ethnobotaniste, que j’ai interviewée au Crès, proche de Montpellier.


Rencontre avec une ethnobotaniste

Malgré la chaleur de ce mois d’août, je monte dans le tram (toujours avec mon masque!) pour rencontrer cette femme au profil atypique. L’ethnobotanique n’est pas un domaine de recherche très répandu, pourtant cette rencontre me semble incontournable si je veux apporter un contexte à nos recherche sur les plantes et la phytothérapie. Tout d’abord, commençons par une définition :

« L’ethnobotanique est fondée sur deux mots : « ethno », les humains, et « botanique », les plantes. Donc, ce n’est pas de la botanique pure, c’est la botanique vécue par les humains. »

Josiana Ubaud, ethnobotaniste

L’ethnobotanique ne se limite pas à l’étude des plantes médicinales. Elle concerne aussi les relations humaines, les symboliques, les rituels sacrés ou ludiques des plantes alimentaires, domestiques, des bois, mais aussi des plantes sauvages et des paysages, etc.

Josiana Ubaud, ethnobotaniste

Josiana Ubaud est également lexicographe en Occitan, une langue à part entière, souvent relayée au simple rang de patois, étouffée par la dominance de la langue française même en Méditerranée. Les recherches de Josiana se concentrent notamment sur le vocabulaire et sa symbolique, lié à la vigne, les oliviers et aux salades sauvages de la région Occitane. Bien que ses recherches ne soient pas orientées sur l’utilisation médicinale des plantes, les témoignages recueilles sur les PAM tout au long de sa carrière sont nombreux.


Nommer les plantes, les faire exister

Originaire de Marseille, Josiana me raconte qu’elle passe ses weekends et ses vacances d’enfance au cabanon, une petite construction de villégiature en colline, où les habitants des grandes villes ont pour habitude de passer leur temps libre, et ce depuis l’Antiquité. Elle y retrouve un paysage radicalement différent du milieu urbain, qu’elle souhaite connaître et décrire. Elle apprend ainsi à nommer les plantes et débute en botanique.

« Au lieu d’avoir un regard qui passe et qui ne permet pas aux plantes d’exister, j’ai voulu savoir leurs noms. »

Josiana Ubaud, ethnobotaniste
La Myrte, plante qui donna son nom au cabanon d’enfance de Josiane, qu’elle replanta dans son jardin

Faire exister les plantes, c’est un moyen de se replacer dans son environnement, au même titre que cette plante, et réaliser que nous sommes semblables : des êtres vivants dans un écosystème.

Pour Josiana, le nom permet de respecter la plante et prendre conscience de sa place. Elle me raconte l’histoire d’un berger de Provence, rencontré lors d’un entretien, qui faisait attention à ne pas marcher sur « celle qui lui avait sauvé la vie », l’Achillée Millefeuille qui l’avait soulagée de sa polyarthrite.

« Du fait de ne plus être nommée [la plante] n’est plus respectée. Une restinclière (étendue de pistachiers lentisques) qui brûle et disparait, pour les gens qui la nomment, ils ont perdus quelque chose de vivant. Un « rien », qu’est-ce que ça peut nous faire qu’on le perde, puisqu’à nos yeux ce n’était rien ? »

Josiana Ubaud, ethnobotaniste

Plantes et territoire

Pour Josiane, la langue d’un endroit fait partie intégrante du sujet de l’enquête. Pour étudier les plantes en région Occitane, il lui faut connaître son langage. Sa grand-mère ne lui ayant pas transmis la langue occitane, Josiana décide de l’apprendre à la faculté. Se réapproprier sa culture linguistique, lui permet également de se réapproprier son territoire, par une compréhension nouvelle du paysage :

« Ayant réappris la langue Occitane de ma grand-mère, je me suis donc intéresser au lexique des plantes en Occitan. […] Cela permet d’accéder à tous les toponymes. Nous avons des centaines – des milliers – de toponymes occitans bâtis sur la présence d’une plante. »

Josiana Ubaud, ethnobotaniste

Ainsi, nommer les plantes ne sert pas simplement à les faire exister dans le paysage, mais à faire exister le paysage lui-même.

« Nerta », le nom occitan de la myrte et de la maison de Josiana

Désormais les cartes lui parlent et donnent des indications sur la qualité du sol et de l’eau, la présence d’une plante. Les exemples sont nombreux, mais un me touche particulièrement : le nom du cabanon d’enfance de Josiana, Nerta, n’est autre que le nom Occitan de la myrte, une plante au parfum puissant et sucré, poussant majoritairement en Corse mais dont quelques individus peuvent être trouvés aux alentours de Marseille. La présence de cette plante rare à proximité du cabanon lui a valu son nom.

En s’installant du côté de Montpellier, Josiana plante un pied de myrte et baptise sa maison du nom occitan.


Au moment de partir, Josiana m’offre des fuseaux de lavandes qu’elle a elle-même tressés (photo en couverture d’article). Je repars du Crès, accompagnée par une odeur de fleurs, et avec l’envie d’en découvrir plus sur le territoire qui m’entoure. Si l’avenir est d’utiliser les plantes, je retiens qu’il convient que nos pratiques soient ancrées dans nos sols.


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Copyright des photos : PAMacée

2 réflexions sur “Nommer les plantes pour les faire exister

  1. TANGUY Isabelle dit :

    Article très intéressant. Merci Anne. J’aime cette idée que cela commence par le nommage qui amène le respect. Les nommer c’est les reconnaître dans tous les sens du terme. Quelle belle perspective de (re)reconnaître les plantes de notre environnement avec leurs bienfaits bien sûr et de les en remercier !

  2. Dianoux dit :

    pour infos dans le Sud:
    -IMDERPLAM, la plus ancienne école d’herboriste en France http://ecole-imderplam.com/inderplam-pratique.php Mas des Bonnes Ouest RD 106 34130 Candillargues 0467296005
    -5 septembre, fête des plantes sauvages à FA-Val du Faby (11260) avec l’association RIHVA.
    lortie.asso.fr 0468203609 ; 0678300630

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