L’imaginaire de modernité et la perte d’un savoir local

Alors que Santo Antão m’était présentée comme l’île des plantes et de la médecine traditionnelle, j’ai réalisé avec regret que cette tradition a déjà bien disparu.

Il y a quelques années, les thérapeutes traditionnels étaient encore nombreux, mais aujourd’hui j’ai du mal à en rencontrer. Si la tradition des tisanes quotidiennes avec les plantes locales persiste, la connaissance des plantes de la population a largement diminué. L’origine du désintérêt des Capverdiens pour les plantes médicinales ? Un changement d’imaginaire.


Un changement déjà en marche

Pour le comprendre, des éléments de contexte s’imposent. Alberto, ingénieur agronome des Canaries et habitant du Cap Vert depuis 15 ans, me fait réaliser la rapidité à laquelle s’est transformé le pays. Le changement que j’observe aujourd’hui au Cap Vert, est à l’image de celui qu’a connu la France au siècle dernier. À la différence près qu’il est bien plus accéléré.

L’île de Santo Antão s’est radicalement transformée ces dernières années. En à peine quelques décennies, elle est passée d’une société quasiment autarcique à une société mondialisée. Il y a peu de temps, les habitants vivaient encore sans électricité, en s’éclairant avec des lampes à huile de pulga. Encore aujourd’hui, à Planalto Norte, un plateau aride difficile d’accès, je réalise que je dors dans l’unique maison avec électricité continue. Des panneaux solaires couvrent la plupart des habitations mais les batteries ne fonctionnent pas. Certains habitants dans ces communautés s’éclairent encore à la bougie. Il y a 20 ans, la télévision était dans la rue. On peut bien imaginer que le package en quelques décennies, électricité, télévision, téléphones portables et internet, a été absolument bouleversant pour cette population paysanne. 


Une histoire digne d’une Telenovela

D’après Alberto, la représentation idéalisée du monde occidentale, à travers les séries télévisées, est confortée par les témoignages des Capverdiens émigrés qui doivent montrer leur réussite.

Cet imaginaire de modernité qui s’est imposé dans les esprits a transformé les modes de vie.

Paysage depuis les montagnes de l’île de Santo Antão

Les habitants quittent les montagnes pour le littoral, les campagnes pour les villes, les îles agricoles pour les îles touristiques. Les femmes ont été les premières à déserter l’intérieur, suivies par les hommes. L’exode rural en cours au Cap Vert est massif. En 10 ans, le pays est passé de 70 % de sa population, rurale, à 70 % de la population, urbaine. Les rapports se sont inversés. Les campagnes désertées.

Le rapport à la santé et aux plantes médicinales s’en trouve transformé.


Un changement d’imaginaires

La différence de connaissance des plantes entre les habitants de la vallée de Paul est flagrante. Alors que dans les hameaux en altitude, tout le monde connaît et utilise des plantes pour se soigner, une heure de marche plus tard, les habitants du village littoral sont incapables de me donner les vertus de ces mêmes plantes. Alberto pense que la ruralité est une honte pour beaucoup de Capverdiens. La tradition serait associée à un imaginaire auquel ils ne veulent plus appartenir.

Dans le mythe de modernité qui est véhiculé, la médecine traditionnelle et les remèdes naturels n’ont pas leur place. 

Un savoir local et une utilisation thérapeutique des plantes qui disparaissent. Une alimentation naturelle qui est transformée. Un patrimoine culturel qui se meurt par la même occasion.

Tradition et modernité peuvent-elles cohabiter ? 


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Copyright des photos : PAMacée