L’usage des plantes médicinales à Santo Antão. Ce n’est pas seulement ponctuellement, le traitement d’une grippe avec une infusion d’artemisia ou d’eucalyptus. Ce n’est pas seulement quotidiennement, l’habitude en fin de journée de boire une tisane de citron vert ou de menthe poivrée. Les plantes médicinales sont consommées, à chaque repas trois fois par jour. Nous le savons bien mais nous l’avons oublié ; les aliments sont nos premiers médicaments.
Comment distinguer la médecine de l’alimentation ? Les plantes pour se soigner de celles pour se nourrir ? « Toutes ces plantes sont médicinales » m’affirme le vendeur au marché lors de mon arrivée de Mindelo. Je l’ai réalisé lors de mon premier séjour au Sénégal. Une évidence pour ce peuple, où « arbre » signifie « remède ». Toutes les plantes ont des vertus, certaines sont simplement inconnues. Il ne tient qu’à nous de les découvrir. L’expression « plantes médicinales » est une expression occidentale qui n’existe pas en créole. Cette expression n’a d’ailleurs aucun fondement car il n’existe pas de définition de plantes médicinales. Qu’est ce que j’avais du mal à faire comprendre le projet PAMacée à mon arrivée à Mindelo, lorsqu’alors, encore ignorante, je parlais de « plantas medicinais » aux personnes que je rencontrais ! Les cap verdiens se nourrissent avec de la “comida da terra” (“nourriture de terre”) et traitent leur problèmes de santé avec des “remédios da terra” (“remède de terre”). “Terre”, un seul mot pour signifier naturel et local. Frais et non-transformés, tous les produits de leur terre sont générateurs de santé.
L’ail et le citron font partie des meilleurs aliments-médicaments. La quantité innombrable de leurs propriétés en fait quasiment des panacées. Mais loin d’être des exemples isolés, chacun des fruits, légumes, graines, comme n’importe quel végétal consommé, possède des vertus non seulement nutritives mais aussi thérapeutiques démontrées.
J’ai découvert le régime alimentaire traditionnel chez Adelso, émerveillée par la qualité de l’alimentation. À la place des produits transformés à base de blé pauvres en nutriments comme le pain et les pâtes, l’alimentation capverdienne est basée sur le mais et les tubercules frais. L’igname contre les rhumatismes, le manioc contre l’asthme, la patate douce pour le pancréas, chacune de ces racines a son utilité. Même la pomme de terre, sous ses apparences anodines, a des vertus médicinales. Cachupa* au petit déjeuner et au dîner et tubercules avec du lait de chèvre au déjeuner. À n’importe quel moment, des fruits qu’il suffit de cueillir dans un arbre au fond de la vallée. Le tout, à volonté. Simple mais savoureux. Une nourriture abondante et saine. Rien de plus biologique, local et frais.
« Beaucoup de monde pense que manger de la cachupa tous les jours c’est manger mal, mais au contraire, c’est manger bien ! ».
Josefa, agricultrice
La différence entre la vie en ville et la vie en intérieur est flagrante. Les médicaments pharmaceutiques ont remplacé les médicaments naturels. La “nourriture de magasin », importée et transformée, a remplacé la “nourriture de la terre ». À la place de la tisane de romarin, un comprimé. À la place de la cachupa, du pain et des gâteaux nommés bulachas. À la place des haricots, du chorizo. À la place des fruits frais, des jus déshydratés. À la place de la canne à sucre à croquer, des beignets gras et sucrés. Considérés comme « pauvres », les paysans des vallées irriguées mangent bien mieux que la plupart des citadins Cap verdiens. À Alto Mira, une vallée irriguée, personne ne peut manquer de ces produits de terre, aliment ou médicament. Quelqu’un dans le besoin pour se nourrir ou se soigner ? Qu’elles soient sauvages ou cultivées, les plantes se partagent et se donnent naturellement.
Les « remèdes de terre » ou « remèdes de pharmacie » ? La « nourriture de terre » ou « nourriture de magasin » ? Les uns s’achètent, les autres se cueillent. Les uns se vendent, les autres se donnent. Les uns génèrent des maladies, les autres de la santé. Gratuites et saines, les plantes, qu’elles soient aliment ou traitement, sont au cœur de la santé des cap verdiens. Pourtant, donner accès à une alimentation de qualité, en soutenant l’agriculture locale, n’est pas une priorité. Le développement économique, via le tourisme, paraît plus important. Se réapproprier la santé, n’est-ce pas repenser autant notre système médical que notre système alimentaire ?
*La cachupa est le plat traditionnel cap verdien, à base de maïs, haricots, les cap verdiens y ajoutent des légumes, du manioc, des patates douces ou pommes de terre, et de la viande ou du poisson selon ce qui est disponible dans leur environnement.