En route pour le bout du monde
Plateau du Nord, Santo Antão, Cap Vert. Dans un plateau aride où résistent chèvres et hommes, les plantes sont les remèdes tant pour la santé humaine que la santé animale.
Je découvre la médecine ethno-vétérinaire, l’art de soigner les animaux avec les plantes.
La route goudronnée se transforme en pavés, puis en terre. Les cascades, les vallées luxuriantes et la végétation tropicale ont laissé place à des étendues de sable. Un paysage volcanique époustouflant avec ses dégradés de terres multicolores s’étend à perte de vue jusqu’à la mer. Je n’ai pas quitté Santo Antão pourtant, j’arrive dans un nouveau monde. À Norte, la zone la plus aride de l’île, les habitants vivent entièrement de l’élevage de chèvres et de la production de fromage. Norte est encore bien plus isolé que le plateau de Leste. Un transport collectif relie le plateau à la ville la plus proche, à 1h30 de voiture, trois fois par semaine.
Les plantes, une pharmacopée à portée de mains
L’accès au soin médical et vétérinaire ne s’en trouve que plus difficile. Le coût pour accéder aux soins vétérinaires dépasse la valeur de la chèvre. 12€ aller-retour, auquel il faut ajouter le prix du traitement vétérinaire d’une vingtaine d’euros. Sans parler du temps nécessaire à y consacrer au vu de la faiblesse des transports. Faciles d’accès et gratuites : si les plantes sont déjà une évidence pour soigner les hommes, elles le sont d’autant plus pour soigner les chèvres.
« Les médicaments de pharmacie doivent être achetés. La plante, il n’est pas nécessaire de l’acheter, seulement de connaître la pratique et la recette pour en faire un traitement. »
Antonio, éleveur de chèvre
Je rencontre Antonio, un éleveur pas comme les autres. D’une intelligence remarquable et d’une détermination hors norme, Antonio est non seulement un leader, mais aussi un spécialiste en traitement naturel. Quelles sont les maladies animales qu’il ne sait pas traiter ? Jusqu’à aujourd’hui, il n’en a rencontré aucune. Il faut dire qu’avec une race locale adaptée au territoire et un élevage entièrement extensif, ses chèvres tombent très peu malades. Mais pour chacun des maux courants, diarrhées, parasites internes et externes, mammites ou grippes, il connaît les plantes locales qui y remédient.
La guérison miraculeuse de sa première chèvre est touchante. Alors que le vétérinaire la pensait condamnée par une mammite aiguë (inflammation mammaire pouvant entraîner la mort), Antonio refuse l’idée de perdre sa chèvre préférée. Il tente un traitement à base d’Aloe vera. Les résultats, visibles au bout de quelques jours, l’encouragent à continuer. Sa chèvre recouvre vite la santé, et recommencera même à produire du lait au bout de quelques mois : fait exceptionnel après cette maladie.
Le vétérinaire est stupéfait: “ Vous n’avez pas besoin de moi ici avec un éleveur tel qu’Antonio !” affirme-t-il lui-même. Depuis, celui-ci a progressivement acquis une réputation dans sa communauté, en devenant ainsi un thérapeute souvent consulté par les autres éleveurs.
Une tradition renforcée
Les habitants de Norte ont toujours utilisé les plantes pour soigner les maux de leurs animaux. Ce savoir local s’est trouvé renforcé par une formation d’une durée de deux ans, dans le cadre d’un projet européen(*), encadré par Simon, un ingénieur agronome français. Les pratiques traditionnelles ont intégré de nouvelles espèces de plantes mais aussi de nouveaux usages. C’est ainsi que l’Aloe vera, qui était appliquée directement sur la peau, est désormais administrée en injection. Antonio a été le premier témoin. L’évolution de l’usage traditionnel donne apparemment des résultats spectaculaires.
Une ressource menacée?
Sur ce plateau aride plus que partout ailleurs, ces remèdes naturels sont largement menacés. L’arrachage sauvage, l’alimentation des chèvres et la sécheresse ont fait disparaître de nombreuses espèces végétales, qui ne persistent plus que dans les endroits les plus inaccessibles. Bien que localisée dans une zone d’aire naturelle protégée, l’urgence d’accélérer les mesures de préservation est criante.
Si les hommes sont les plus grands destructeurs de la nature, Antonio est persuadé qu’il peut en être autrement. C’est pourquoi, à son échelle, à travers son association communautaire, il veut créer un parc de conservation des espèces endémiques et médicinales. L’objectif est de revégétaliser le territoire, en ré-instaurant la culture d’entraide dénommée en créole « junta mon » (littéralement « mains jointes »). Faire œuvrer ensemble habitants de la communauté et touristes. Planter et introduire au lieu de d’arracher et détruire. Générer et prendre soin de la vie pour que toutes les formes de vie cohabitent.
« Il ne faut pas seulement penser à être vivant, mais aussi contribuer de manière à ce que nous puissions tous vivre. Par « nous » je ne parle pas des êtres humains, mais de la nature. La nature est un tout. »
Bien au-delà de l’utilisation des plantes médicinales, la vie à Norte est exceptionnelle. Habiter ce territoire semble relever du miracle. Sans eau courante, nombreux sont les habitants qui vont chercher l’eau de source au milieu d’une falaise presque quotidiennement avec des ânes, pour leur consommation et celle des animaux. Si l’électricité couvre la plupart des habitations désormais, elle ne fonctionne que le jour. La vie est difficile à Norte. Pourtant, la vie est meilleure ici, Antonio en est persuadé. La solidarité permet de résister. En développant sa propre activité pour mettre en œuvre ses propres idées, la vie est d’après ce leader communautaire parfaitement épanouissante. La force des liens sociaux et la capacité de mettre en œuvre ses propres idées, ne sont-ils pas finalement les principaux générateurs de santé ?
« Je ne suis pas riche financièrement. Mais je suis riche de santé, je suis riche d’idées. »
*Le projet Porto Novo rural est un projet européen à l’origine de la coopérative PARES, qui commercialise notamment les tisanes de plantes médicinales.
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