Lawen : l’histoire des remèdes de la Terre Mapuche

Extrait de la chanson Kuyin ni kimun (sagesse des animaux) de l’artiste rappeur mapuche Luanko « Ma grand-mère est malade, je vais chercher un remède pour la soigner, je sors à la recherche de plantes médicinales, d’herbes naturelles. Mais je n’en trouve aucune. Je cherche, je cherche, mais tout est désolé. La forêt à été coupée. Je ne trouve nulle part les plantes. […] un renard m’a parlé « frère, frère, ton peuple n’est plus sain, d’autres humains ont arraché les plantes qu’on t’a chargé de trouver. Jamais ils ne respecteront les terres ancestrales. Ils les ont inondé par des barrages, et ont volé la forêt. »

Les paroles des chansons de l’artiste Luanko sont vibrantes de la déchirure que vit la terre mapuche et le peuple du même nom. Le lien entre plantes médicinales, souveraineté des peuples et préservation de l’environnement apparaît clairement dans ses textes.

Afin de vous plonger dans le contexte, je vous propose une deuxième vidéo : le court métrage « Choyun : brotes de la tierra » (Choyun : les graines de la terre). Les sous titres en français sont disponibles.

Mapu-che : se former avec la terre

Les Mapuche se définissent selon le territoire où se trouve leur communauté. Le suffixe Che peut se traduire par « gens » ou « une personne ». Ainsi, mapuche est souvent traduit par « les gens de la terre (la mapu) ». Néanmoins, che est plus à comprendre comme le processus de formation d’une personne ou d’un groupe, constamment en interaction avec la mapu et ce qui l’entoure.

Ainsi le caractère d’une personne est appelé az che. Le caractère varie selon que le che soit pewenche de la cordillère, lafkenche de la côte pacifique ou encore williche de l’île de Chiloé. Le lien avec le milieu naturel est donc très fort puisqu’il est reconnu comme influençant directement la façon d’être et le caractère des personnes.

Le lawen : au delà de la plante

Les plantes occupent une place fondamentale pour les Mapuche qui les utilisent pour se soigner. Alors appelées lawen, les herbes utilisées en médecine deviennent plus qu’une simple plante comme l’explique le livre Lawentuwun trurwa mapu mew. La santé dans le territoire de Tirua. « Lawen ce n’est pas seulement la plante ou la matière physique végétale. Au contraire, le lawen porte également une explication plus profonde, transcendante, […] faisant référence à l’essence même, l’énergie que cela contient »

Pour soigner les maladies, les lawen sont cueillis et prescrits par les machis ou les lawentuchefe. Les machis, généralement des femmes, sont des intermédiaires entre le monde spirituel appelé wenu mapu, et le monde d’ici appelé nag mapu. La machi est donc à la fois un leader spirituel et un medecin mapuche. La maladie est pour les Mapuche une manifestation d’un déséquilibre entre l’esprit et le corps. La lawentuchefe, connaisseuse des lawen est également souvent une femme. Néanmoins, elle n’a pas l’approche spirituelle de la machi.

Quand la colonisation est encore de mise

Les plantes servant à la conception du lawen poussent dans les forêts natives de Wallmapu, le territoire mapuche situé au sud de l’actuel Chili. Certaines sont également cultivées dans les jardins autour des maisons.

Mais que se passe-t-il quand l’accaparement des terres mapuches par les colons puis par l’État chilien conduit à la déforestation ?

Les monocultures intensives remplacent les rauli, arrayanes, peumos, quillay et autres arbres de ces écosystèmes. Les barrages inondent les terres mapuches au profit de compagnies étrangères. Les lawen disparaissent et les Mapuche deviennent dépendant du système couteux de santé moderne.

Le tineo, aussi connu sous le nom de palo santo, est couramment utilisé comme cicatrisant.

Une Lawentuchefe raconte « quand je regarde dehors il n’y a que des eucaliptus (une espèce exploité en monoculture pour l’industrie de la pâte à papier) qui bougent dans le vent. Avant, c’était couvert de forêts natives, et là dedans se trouvaient le lawen. Maintenant ils contaminent les pauvres, et pour autant que les pauvres aient besoin de remèdes, il n’y en a plus ».

« L’histoire chilienne nie notre existence »

De plus, depuis sa colonisation dans les années 1880 le Chili a maintenu une politique raciste d’oppression envers le peuple Mapuche. De nombreux enfants aujourd’hui en âge d’être grands parents ont vécu des violences physiques à l’école lorsqu’ils parlaient mapudungun, la langue mapuche.

Ainsi, un ancien me racontait comment lorsqu’il était en primaire, il ne parlait que mapudungun. En représailles de ne pas parler espagnol, les professeurs de son école lui faisait subir des humiliations et sévices physiques. Nombreux furent celles et ceux qui pour échapper à ce racisme systémique et ces persécutions n’enseignèrent pas la langue à leurs enfants. Les traumatismes générés par cette politique anti-mapuche sont encore très présents.

Or, la transmission de la culture par la langue est fondamentale. Sans cela, toute la vie culturelle se perd. Ainsi, le processus de colonisation mis en place par les espagnols au XVème siècle puis perpétré par l’Etat chilien après l’indépendance en 1810 va de pair avec une volonté de détruire ce qui fait l’identité de ce peuple. Sans la langue mapuche, le kimun (la sagesse/la connaissance) ne peut pas être transmise. Sans terres qui leur sont propres, les monocultures remplacent les forêts où poussent normalement le lawen.

« Qui blesse ma terre me blesse aussi »

« Nous savons qu’ils ont appelé « Chili » toute notre terre »

Portavoz, rappeur

« Sous le ciment il y a la mapu de mes ancêtres »

Néanmoins, les Mapuche sont des battants et des battantes. Jour après jour le peuple continue de lutter pour sa souveraineté, sa dignité et pour la récupération de ses terres. « Nous sommes Mapuche, nous allons toujours lutter » clame Luanko dans sa chanson Witrapain, nous sommes debout.

Jamais deux sans trois, voici une dernière vidéo porteuse d’espoir et de fierté.