La disparition d’un savoir local

Une transmission familiale

L’entretien avec Antonio Rocha est touchant. Après avoir vécu en Europe depuis son enfance, ce cap verdien souhaite revenir à ses origines. Il me parle de Bia, une femme âgée de Santo Antão passionnée par les plantes médicinales, qui lui envoie régulièrement de la tisane au Luxembourg en passant par le réseau capverdien. Il m’explique que dans le passé, tout le monde avait une connaissance de base sur les plantes à utiliser contre les maux les plus communs.

Ce savoir se transmettait de famille en famille.

Pour les problèmes plus rares, les habitants allaient voir le thérapeute du village à la connaissance plus grande. 

Antonio Rocha, cap-verdien de Santo Antao

Tout le monde dans le temps connaissait la puissance d’une plante.


L’expérience chez Bia, une thérapeute

De passage dans son pays natal, Antonio ne rate pas l’occasion de passer consulter Bia. Il me raconte son expérience. Elle commence par le questionner longtemps sur ses maux et sur sa vie et l’écoute parler. Elle lui demande de repasser le lendemain pour réaliser des prières et préparer des remèdes à base de plantes. Elle attendra le lendemain pour lui livrer son diagnostic et ses prescriptions, en lui précisant bien la dose associée à chaque préparation. Si des analyses sont nécessaires pour connaître le résultat sur son diabète, l’efficacité sur un autre problème de santé est immédiate.

Bia et sa famille

Profondément convaincu de l’importance de « cette passion », « cet art » qu’il ne sait comment qualifier, il regrette de voir ce savoir disparaître. À 88 ans, la connaissance de Bia accumulée pendant toute sa vie risque de partir avec elle. 


Retours aux sources

A la fin de notre rencontre, Antonio Rocha me partage son souhait d’une coopération entre chercheurs et connaisseurs de plantes médicinales. Un croisement entre le savoir traditionnel et scientifique nécessaire pour préserver cette médecine par les plantes.

« Actuellement dans l’ère où l’on vit, les deux entités [scientifiques et connaisseurs des plantes] doivent se donner la main, pour essayer de garder cette culture de la médecine par les plantes. Car nous avons ici au Cap Vert des plantes endémiques, aux vertus insoupçonnées.« 

Pour conclure, il prône un retour aux origines, au pays, persuadé du potentiel de son pays. Ce qui est déjà en cours aujourd’hui, car “la terre c’est tout”. 

On s’est rendu compte que toutes les forces créatrices se trouvaient dans la terre, dans l’air, dans la mer, dans la faune et la flore.

Antonio Rocha

Un savoir impressionnant

Bia est allergique à tous les médicaments chimiques, elle s’est formée par elle même à la phytothérapie à travers ses livres. Contrairement à la majorité de la population, elle connaît le nom scientifique des plantes qu’elle utilise. Très croyante, elle veut faire profiter de son « don pour soigner», motivée par la volonté d’aider le monde.

L’efficacité de ses soins et le bouche à oreille ont fait sa réputation dans tout le Cap-Vert et au-delà. Les habitants viennent la consulter, souvent en dernier recours après l’échec de la médecine dispensée à l’hôpital. Elle souligne l’importance de la foi dans la médecine par les plantes :

Contrairement aux médicaments chimiques, les médicaments naturels prennent du temps pour agir. Sans y croire, et sans poursuivre l’usage dans la durée, les plantes ne pourront pas fonctionner.

Bia et sa fille Véronica, connaisseuses des plantes

Elle transmet son savoir à sa fille, Véronica, qui a fait le choix de rester au village contrairement à tous ses frères et soeurs. En travaillant avec sa mère, elle tient à prendre sa suite et poursuivre son activité pour ne pas laisser ce savoir mourir


Si elle réfute la rumeur qui s’est propagée par les réseaux sociaux sur l’Erva doce qui soignerait le corona virus, elle me parle d’une autre plante qui, d’après elle, pourrait être utilisée contre le virus en bain ou en tisane : l’Artemisia gorgonum. Je suis intriguée par sa croyance sur une plante cousine de l’Artemisia annua que je connais bien.

Une plante qui mériterait plus d’attention ? J’en suis persuadée. L’Artemisia me surprendra toujours.

La santé est la partie indispensable de notre vie. Cette connaissance est importante pour aider l’humanité.

Bia

Remarque : Cette rencontre a eu lieu il y a deux mois, l’Artemisia commence à être prise en considération par les scientifiques à Madagascar et en Allemagne. (1)

(1) Connue sous le nom de Losma, cette espèce d’Artemisia endémique de l’archipel, est une plante qui agit notamment contre les grippes et au niveau de l’appareil respiratoire. Cette plante très puissante d’après les nombreux témoignages de capverdiens rencontrés, possède une action antipaludique et antitumorale démontrée par des articles scientifiques. Mais aucune recherche sur une activité antivirale n’a été réalisée. En revanche, sa cousine l’Artemisia annua a été utilisée en Chine, qui a fait largement appel à la phytothérapie pour lutter contre cette épidémie, afin de traiter les symptômes du virus lorsqu’il atteint l’appareil respiratoire.

Une étude en Allemagne vient d’être lancé pour tester l’effet de l’Artemisia annua au niveau cellulaire contre le covid-19.

Le président malgache vient d’annoncer l’utilisation de l’artemisia annua en préventif et curatif contre le covid suite à des premiers résultats cliniques concluants.

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