La découverte de la médecine traditionnelle capverdienne

Vendredi 10 février

Bientôt deux semaines au Cap Vert. À mon arrivée, la même inquiétude paralysante qu’à Lanzarote. L’île semble tout aussi désertique et la langue créole ne simplifiera pas mon enquête. À nouveau, je dois me forcer à quitter la sécurité de mon ordinateur pour découvrir le monde réel de Mindelo. Rien de plus simple que de trouver des vendeurs de plantes médicinales.  Le marché municipal en est rempli. J’interroge un vendeur : « Quelles sont les plantes médicinales du Cap Vert ? ». Question stupide probablement, « Toutes les plantes sont des plantes médicinales ! ». Les personnes âgées ne semblent même pas comprendre cette notion. Je repense au biologiste qui m’avait dit la même chose sur les plantes des Canaries. J’ai beau le savoir, j’ai encore du mal à l’intégrer apparemment. Hortelao, Alecrim rosmaninha, Erva duce, Aloe vera, Moringa, etc. : je commence mon apprentissage des nombreuses plantes dont les propriétés médicinales sont bien connues au Cap Vert.

Pedro, agriculteur à Ribeira Vinhna, qui cultive notamment des plantes médicinales

Une heure plus tard, j’ai le contact du médecin traditionnel chinois du Cap Vert, de l’herboristerie de la ville, j’ai rencontré des vendeurs de PAM et j’ai un rendez-vous le lendemain avec un guide/interprète qui me propose son aide généreusement. Même en rêve, je n’aurais pas espéré que ce soit aussi simple. Ma quête de contacts s’est poursuivie avec la même facilité, et bientôt j’enchaîne les rencontres avec le ministère de l’environnement, des spécialistes des plantes, des guérisseuses, et des cultivateurs de PAM. Le tout avec un interprète, indispensable pour communiquer avec une grande partie de la population qui ne parle que créole. Les capverdiens m’aident avec un tel naturel. Leur gentillesse me surprend jour après jour.

Indications thérapeutiques sur les plantes devant une boutique de PAM à Mindelo
Pharmacie à Mindelo

Une première herboristerie vend uniquement des produits de Chine. La deuxième des produits importés du Portugal. Je suis déçue. L’usage des plantes médicinales a-t-il déjà disparu à Mindelo ? Une journée avec un capverdien et je suis rassurée ; dans une minuscule boutique en plein cœur de Mindelo, une femme – masseuse vend des plantes médicinales locales. Ici, rien à voir avec les herboristeries Européennes. Pas d’extraits de plantes, des compléments alimentaires ou d’huiles essentielles, mais des plantes en vrac vendues à côté de quelques huiles artisanales à base de plantes. Mais surtout, les devantures des magasins de PAM sont recouverts d’affiches. Pas un seul espace de mur vide. Leur contenu ? Les propriétés et les conseils d’utilisation des plantes médicinales. Ici, pas d’interdictions de recommandations sur l’usage des plantes. Au contraire, ces connaissances semblent vouloir être partagées au maximum. Si les pharmacies sont bien présentes dans les centres villes et que la médecine traditionnelle disparaît peu à peu, la population capverdienne a encore une connaissance précise des vertus des principales plantes locales. Quand un capverdien est malade, il va d’abord chercher à se soigner avec des plantes, et ensuite aller chez le médecin si besoin. Tout le contraire de ce que nous avons l’habitude de faire en France généralement.

« Avant d’aller vivre en Italie, je n’avais jamais pris de médicaments de ma vie ».

Kanny, habitant de Mindelo

Pirula d’Aloe vera

Je découvre progressivement les usages traditionnels dans la médecine du Cap Vert. L’Aloe vera, appelée Babosa ou Maria cruz, selon qu’elle soit utilisée pour ses propriétés médicinales ou non, est très présente sur l’île. Si ses vertus pour la peau et les cheveux sont connues, d’autres formes sont bien utilisées traditionnellement. Pour la première fois, je vois des feuilles d’Aloe vera séchées pour le thé, et plus original encore : des « pirula d’Aloe ». Ces minuscules boules rouges faites de farine et de plante séchée sont très utilisées au Cap Vert pour ses vertus amincissantes et purifiantes. Une autre pratique semble très répandue dans la médecine traditionnelle capverdienne. Les lavages avec de l’eau chaude à base de plantes. D’abord intriguée par cette utilisation nouvelle pour moi, on m’explique qu’en se baignant dans cette infusion de plantes, la personne va inhaler les vapeurs qui s’en dégagent. Le pouvoir des plantes peut agir. 

Le plus étonnant est la croyance associée à certaines plantes. L’ourinzeira par exemple, est une des plantes médicinales les plus importantes de l’île et se fait de plus en plus rare. Un peu de thé et un bain avec une infusion de cette plante serait extrêmement efficace contre les fièvres. Mais une autre action paraît plus surprenante. Cette plante est connue pour éloigner les « mal-yeux ». Une graine de cette plante avec toi, et tu es protégé des mauvaises ondes, générées par des personnes qui te voudraient du mal. Loin d’être considéré comme une superstition, cet effet, qui m’a été confirmé ensuite à plusieurs reprises, semble bien connu des capverdiens. Il en est de même pour 3 ou 4 autres plantes médicinales, dont l’Aloe vera. Mami Estrela m’explique : “Si cela fonctionne vraiment, nous sommes protégés, sinon nous cultivons cette plante devant notre maison et cela ne fait de mal à personne.” Vue comme ça, cette croyance me semble plus que saine. 

Je rencontre enfin un personnage tant recherché : une guérisseuse ! Cette rencontre me laisse perplexe. Rosalina, petite femme de 75 ans, nous salue, rayonnante depuis le toit de sa maison rose. Elle nous attendait. Comment est-elle au courant de notre venue ? Un mystère. Je commence à l’interroger, intriguée par ce personnage atypique. Comment a-t-elle acquis ses connaissances sur les plantes médicinales ? Elle dit être née ainsi. Une forme de connexion à la nature lui apporterait son savoir et savoir-faire pour guérir les êtres vivants. Incroyable ? Peut-être, mais elle se distingue d’autres personnes se désignant « guérisseur ». Elle dit être unique. En tous les cas, ce n’est pas l’argent qui la motive. Elle prodigue ses soins sans demander aucune contrepartie et n’a jamais cherché à en vivre. Et les résultats semblent probants. Tout le monde la respecte. Elle me transmet son savoir sur les plantes médicinales qu’elle cultive sur son balcon pendant des heures. Je passe la journée du lendemain entièrement avec elle, à communiquer de mon mieux avec mes bases de créole. Si ce personnage me laisse perplexe, il ne fait pas de doute que son savoir sur les plantes est immense et que sa gentillesse est sincère.

Rosalina

3 réflexions sur “La découverte de la médecine traditionnelle capverdienne

  1. Laurent dit :

    Je laisserai pour l’heure le Selvon Deuil à son mystère; mais j’avoue que tu nous as mis l’eau à la bouche en annonçant tout de go l’existence d’une plante cap-verdienne dont l’activité antivirale pourrait être un recours à la pandémie qui couve. Mais voilà que nous cherchons tous, je suppose , à en savoir un peu plus; que se cache-t-il derrière l’Erva Duce? Ce suspense est une torture et tu ne peux nous laisser dans cet état plus avant…

  2. BAUMANN Geneviève dit :

    Bonjour! Passionnants, vos articles! Peut-être viendrez-vous nous voir à l’Hôpital traditionnel de Keur Massar (30 minutes de Dakar), fondé par le Professeur Yvette Parès (formée à la médecine occidentale et qui a décidé de se plonger et de suivre les traditions praticiens sénégalais…), décédée le 9 juillet 2010… Nous vous accueillerons volontiers les lundi, mercredi, jeudi, samedi. Site : http:// hopitaltradotionnelkeurmassar.org ou page Facebook…. Bien cordialement. Geneviève

    • lolakeraron dit :

      Bonjour Genevière, merci pour votre message, j’arrive dès que possible à Keur Massar ! Hate de découvrir votre hopital unique et vous rencontrer ainsi que les tradipractiens
      Bien cordialement et à bientot,
      Lola

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